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Safâa Erruas

Tout est suspendu, fragile...

L'oeuvre oblige à la retenue du souffle...

C'est sur le moment de cette rétention que l'artiste installe dans notre pensée un espace-temps singulier et paradoxal.

 

À 15 ans, Safâa Erruas fréquentait déjà l'école des beaux-arts de Tétouan. Habitée par l’idée de suivre une carrière artistique, « mais un peu déçue de l'ambiance générale de l'école, l'aspect bohémien des étudiants, l'absence d'un programme... rien ne me paraissait très sérieux », elle décide de passer un baccalauréat scientifique, puis s’inscrit à la faculté des Sciences de Tanger : « c'est là où j'ai pris conscience de mon incapacité à suivre une carrière scientifique. Heureusement, la même année, l'école des beaux-arts de Tétouan est devenue un Institut national des beaux-arts ; à ce moment-là j'ai décidé de ne faire que dont j'avais réellement envie et besoin : les beaux-arts».

De cette expérience scientifique, elle ne semble avoir conservé, inconsciemment, que l’utilisation récurrente de la couleur blanche. Une obsession qu’elle définit comme « une envie de révéler une dimension immatérielle de la couleur et de la matière même, une envie de présence/absence... ». Cette blancheur omniprésente entraîne un certain effacement des travaux sur la surface du mur, une présence discrète et évanescente. Ne restent alors parfois visibles, à distance, que les aiguilles, fils métalliques et perles que l’artiste intègre au papier de soie, au coton, à la gaze... C’est bien sur un moyen de s'approprier l'espace, mais aussi et surtout « une volonté de ne révéler, discrètement, que les sensibilités que j'ai vraiment envie de faire paraître, apparaître ». Mais si la couleur blanche du mur, support des œuvres, est encore pour l’instant une condition même d’installation, Safâa Erruas pense dans l’avenir adapter son travail à des surfaces « moins blanches » ou même noires.

L’utilisation du coton, de la gaze, d’aiguilles, confère à ses travaux l’apparence de sutures précieuses. Il y a dans ce résultat plastique quelque chose de l’ordre du médical, de la blessure qu’on répare et qu’on panse, d’un espace aseptisé, conforté par l’utilisation du blanc et, plus récemment, d’images découpées du corps humain. On peut y voir l’expression de contradictions et paradoxes douloureux, mais cette pureté symbolisée par le blanc est pour l’artiste beaucoup plus profonde, « c'est une obsession d'un ordre presque divin ».

Des confrontations qui s’expriment dans un jeu d’opposition - pesanteur/légèreté ; opacité/transparence… - avec les matières de prédilection, tant par leur aspect que leur propriété et ce qu’elles symbolisent... Ainsi, quand Safâa Erruas saupoudre de talc ou recouvre de coton les matériaux, elle cherche à la fois à masquer et à mettre en exergue les contradictions intrinsèques des matières : « En fait il y a parfois même une contradiction entre la nature de la matière et ce que je veux faire avec. Je pense que de cette contradiction naît une certaine force du travail ». 

Parallèlement - et presque paradoxalement - ces œuvres ne sont pas sans évoquer les travaux d’aiguilles la broderie - avec l’utilisation de perles et de fils dorés - ou le raccommodage de « tissus » fragiles. Un travail est en ce sens très féminin, tant par cette évocation d’une certaine image de la femme que sa facture et la technique utilisée. 

Ainsi, de ces travaux, en apparence apaisés, émerge une ambiguïté quelque peu inquiétante, car si la blancheur quasi « thérapeutique » est pour l’artiste « un moyen de purifier la matière, de la rendre visible et de montrer sa dimension immatérielle », qu’en est-il des aiguilles et du fil de fer barbelé qui transpercent étoffes, « nuages » de coton et photographies de corps humains morcelés…

 

© Florence Renault-Darsi, juin 2002 (publié dans AM6 Juin-juillet-août 2002)

© 2022 florence renault-darsi

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