








Hassan Darsi
AUTREMENT DIT (textes d'exposition)
Afrique en chantier
La notion de chantier est récurrente dans le travail de Hassan Darsi, à l’instar de son travail dont les œuvres se nourrissent les unes des autres, s’enrichissent, d’exploration en réexploitation, de recherches en détournement. Autant de « pièces à conviction » qui viennent chaque fois compléter une œuvre précédente et en anticiper une autre, à l’image d’un vaste chantier… Un chantier symbolique, à l’échelle d’un monde terrain d’enjeux politiques, humains, sociétaux, écologiques et culturels. Et comme tout chantier, de construction ou de réhabilitation, commence par l’édification d’un échafaudage, c’est cette première étape, nécessaire et constructive, qui se déploie et s’élève ici comme un moment « zéro » marquant le début de possibles… Un échafaudage d’entrelacs de bois dont un vide partiel souligné d’or laisse deviner les contours du continent africain. Une œuvre qui prend sa source dans l’appartenance africaine du Maroc et qui emprunte des éléments récurrents du travail de l’artiste, la couleur or, pour sa portée emblématique et son impact signalétique, l’architecture et la dimension d’échelle, pour sa référence au processus de création.
Série Ardoises
Les Ardoises reprennent le « motif » de l’échafaudage en trait blanc sur fond noir. On y retrouve la même fragilité apparente des entrelacs, renforcée par l’évanescence du dessin au pastel tendre, la même mise en abyme géométrique. Contraint dans l’espace d’un cercle dont les lignes cherchent parfois à s’échapper en débordements et prolongations, le regard s’enfuit indéfiniment dans un dédale de perspective. Quand l’échafaudage se fracture en deux parties, indépendantes l’une de l’autre mais intimement reliées par les lignes qui le constituent, la brèche dans le dessin propose alors un nouveau motif répétitif, une frise verticale qui vient à la fois scinder l’échafaudage et le réparer par un léger emboitement, ou inversement mettre en exergue une étape constructive de son processus d’élaboration… Dans ces tableaux noirs, comme dessinés à la craie, on peut lire une réminiscence de souvenirs d’école de l’artiste, mais aussi une référence plus frontale à la transmission des savoirs qui « échafaude » notre avenir.
Le square d’en bas
Utilisant les projets de maquette comme autant de déclencheurs de prise de conscience, Hassan Darsi s'est penché cette fois sur le sort du bâtiment Legal Frères et Cie, avenue Mers Sultan à Casablanca, que surplombait l’Atelier de La Source du Lion. En reconstruisant le bâtiment en maquette à échelle de 1/50ème, Hassan Darsi a ouvert les portes du possible : nouvelle histoire, nouvelle forme et nouveaux questionnements. La maquette de Legal frères et Cie, regardée au détail et posée au cœur de collaborations artistiques et d’échanges avec les citoyens, a comme philosophie la nécessité de réfléchir ensemble les réalités sociales et urbaines qu’on ne prend pas le temps de regarder. La maquette et quelques images restent aujourd’hui les seuls témoins du bâtiment (détruit en 2017) dans son intégrité, témoins d’un naufrage et des réalités politiques et urbaines de Casablanca.
Zone d’incertitude
Un homme peint. La frêle corniche qui abrite ses pas est à une vingtaine de mètres du sol... En bas la rue, la circulation, le cœur historique de Casablanca... Il peint un bâtiment abandonné et en ruine de l’époque du protectorat, jadis fleuron de l’économie française au Maroc. Une action vaine qui souligne les paradoxes socio-économiques du Maroc... Un geste exagérément ralenti, comme suspendu dans l’espace et le temps, qui interroge la légitimité de nos actes en même temps qu’il créé une Zone d’incertitude dans laquelle la réalité pourrait devenir fiction.
Série Amulettes
La notion de chantier est récurrente dans le travail de Hassan Darsi, un chantier symbolique, à l’échelle d’un monde terrain d’enjeux politiques, humains, sociétaux, écologiques et culturels. Et comme tout chantier commence par l’édification d’un échafaudage, c’est cette première étape, nécessaire et constructive, qui se montre ici comme un moment «zéro» marquant le début de possibles… Ces Amulettes démesurées auxquelles on attribue une vertu protectrice, s’imposent dans l’espace dans un jeu visuel d’entrelacs de bois en apparence fragile, rehaussés, ou pas, par une couleur qui vient en souligner le trouble. Le bleu céleste propose une présence évanescente empreinte de sérénité ; le noir anthracite n’est pas sans évoquer la couleur du charbon et semble absorber la présence même de l’échafaudage tout en l’imposant dans un ancrage profondément terrestre. Pliées et adossées au mur, les Amulettes s’imposent comme une matrice, un moment arrêté dans le processus. Elles deviennent un bas-relief troublant, proposant des points de vus à la fois minimalistes et complexes. On y retrouve la couleur dorée, propre à de nombreux travaux de l’artiste, et l’échafaudage s’impose alors dans la lumière précieuse d’un or qui vient en détourner l’usage.
Série Soulèvements
Une base de petits cubes, agencés en mosaïque, semble s’être déstructurée et soulevée pour faire naître une nouvelle couche chaotique... Paysages de ruines, éruptions terrestre, ruptures dans la norme imposée ou allégories de conventions ébranlées, ces tondi colorés, mi sculptures, mi bas-reliefs, ne sont pas non plus sans évoquer les interventions de l’artiste sur les cubes gigantesques des jetées (Or d’Afrique), ici réduits à l’échelle de tesselles. La forme du carré (que l’on retrouve aussi dans la structure même des Amulettes et des Ardoises ou encore dans les empilements d’acier des Totems), signe de l'immanence et de l’ordre terrestre, est comme bousculée sous l’emprise une pression invisible mais perceptible, d’une métamorphose en cours et d’un désir impérieux d’émancipation.
Or d’Afrique
Depuis 20 ans, les travaux réalisés par Hassan Darsi à partir de l’adhésif doré suivent une évolution qui rythme les différentes étapes et mutations de son parcours d’artiste. Il détourne les mécanismes universels qu’engendre immanquablement la couleur de l’or, en même temps qu’il interroge notre regard, celui que nous portons et celui que nous ne portons plus sur les choses de la vie. C’est également ce qui porte le travail de l’artiste lorsqu’il transpose à grande échelle ce processus de recouvrement par la dorure. L’adhésif doré d’Or d’Afrique tend à faire disparaître les monumentaux cubes de bétons de la digue, en même temps qu’il en souligne l’existence et en sous-entend les histoires tragiques de traversées et de naufrages. L’or (d’Afrique) devient alors à la fois le phare qui signale le danger et la richesse convoitée qui aveugle. De subterfuges en paradoxes, de mises en abîme ou à l’échelle, l’artiste déplace le champ de l’art là où on ne l’attend pas.
Série Totems
Ces sculptures verticales s’érigent dans l’espace à la fois dans leur unicité, leur multiplicité et leur proximité, invoquant ainsi la relation collective ancestrale entre les êtres et le symbole de ralliement induits par le totem. On retrouve dans ces sculptures d’acier délibérément rouillé, la forme du cube propre aux jetées dorées par l’artiste, mais aussi l’or, qui déborde et se répand le long des parois, comme comprimé par une étrange pesanteur… L’or se fige dans la résine dans un moment arrêté et les formes qui apparaissent par écrasement se conjuguent au lent travail de corrosion auto protectrice du Corten. Cette alchimie entre les deux matières fait naître autant de figures inquiétantes, gargouilles grimaçantes et comme fondues, mi animales, mi végétales, autant de paysages aux reliefs tortueux qui se font écho et se contaminent.
Série Vestiges
A l’origine de ces étranges dessins, la trace d’un geste, celui de l’artiste jetant au hasard sur le papier immaculé les cubes de bois qu’il vient de tremper dans l’encre de tampon pour les laisser sécher. Les empreintes évanescentes qui subsistent, retravaillée par extension et superposition deviennent alors vestiges d’une action et d’un processus, mais aussi plus poétiquement, mémoire de ruines, cartographies d’époques révolues ou vues aériennes de cités perdues. Ces dessins à la fois aléatoires et agencés ne sont pas sans évoquer une autre série de l’artiste, les Chutes, composées à partir des découpes inutilisées d’adhésif doré pour ses travaux de recouvrement d’objets.
Série Fantômes
Hassan Darsi explore les fusions et les scissions de deux matières, la peinture noire et la poussière d’or pour convoquer d’étranges figures fantomatiques. Emprisonnés dans les contours incertains de ces Fantômes, l’or noir et l’or jaune, objets de toutes les convoitises, s’interpénètrent sans jamais vraiment se mêler, se jouent l’un de l’autre, se repoussent et s’attirent comme des aimants, dans une dualité de contrastes chimiques et organiques savamment orchestrés et distillés par l’artiste. Une alchimie s’opère, une mue semble s’être amorcée, une mue allégorique, préfiguration de changements et de métamorphoses.
Florence Renault-Darsi, Janvier 2024 (https://www.hassandarsi.com/post/autrement-dit-bieibarat-ukhraa)